Il y a cent ans, près de 27.000 morts en une seule journée, en quelques heures, pour l’armée française. Le 22 août 1914 fut le jour le plus meurtrier de toute la Grande Guerre pour la France. La bataille des frontières est moins connue que celles de la Marne, de Verdun ou du Chemin des Dames. Ce fut pourtant une des pires journées de l’histoire de l’armée française. A titre de comparaison, cela représente presqu’autant de soldats tués au combat que pendant toute la guerre d’Algérie.
L’historien Jean-Michel Steg a écrit l’histoire de cette terrible journée : "le jour le plus meurtrier de l’histoire de France, 22 août 1914" (Editions Fayard)
Au mois d’août 1914, l’armée française est engagée dans des premiers combats lors de la bataille des frontières, le long de la Belgique, envahie par l’armée allemande, ainsi qu’en Alsace et en Lorraine, dans le cadre de l’application du plan de l’Etat-major français, le plan XVII.
Les mois les plus meurtriers de la Grande Guerre sont les premiers mois, entre août et octobre 1914. Les soldats tombent à un rythme à peu près trois fois plus élevé qu’à Verdun.
Il y a beaucoup de gens qui se battent au même moment : plusieurs centaines de milliers de soldats sont exposés au feu le 22 août. Les cinq armées françaises ont combattu ce jour-là , dans les différents points du front, notamment en Lorraine, à la suite de la défaite de Morhange) et en Belgique (bataille de Charleroi). A chaque fois, les Français ont laissé beaucoup de terrain et beaucoup de gens parce qu’ils étaient mal équipés pour des batailles de rencontre, et parce qu’ils utilisaient mal leur artillerie. Il y avait aussi un corps d’officiers extrêmement courageux (les fameux jeunes saint-Cyriens qui chargeaient à la tête de leur compagnie en gants blancs et sabre au clair) qui croyait au sacrifice et qui ne reculait pas alors qu’il aurait dû le faire.
Les Allemands étaient tactiquement supérieurs. Du côté des Français, c’est l’offensive à outrance, alors que les Allemands en général choisissaient dans un premier temps une position défensive. Ils attendaient de voir ce qui allait se passer et ils mettaient en place leur artillerie, qui à chaque fois, obligeaient les Français à manœuvrer très rapidement sous le feu. L’armée française était très rigide et hiérarchisée. Il faut aller chercher des ordres loin et haut dans la hiérarchie. Et pendant ce temps-là , on attend. Du côté des Allemands, l’armée est beaucoup plus décentralisée. On explique aux officiers subalternes ce que l’on veut faire et ils ont beaucoup plus d’autonomie. Ils se mettent en place beaucoup plus rapidement que les Français. Ce qui leur donnera l’avantage.
Des malheureux ont été envoyés au massacre, par des généraux prétentieux et pour certains parfaitement incompétents, par un général en chef, Joffre, qui s’accrochait à son plan XVII, sans mesurer les conséquences du Plan Schlieffen (invasion de la France en violation de la neutralité belge pour tourner l’armée française et foncer sur Paris). Avec une artillerie qui, à l’exception du canon de 75 (artillerie légère) était surclassée par l’artillerie allemande, avec des fantassins portant des pantalons rouges, et pas de casques, à la différence des Allemands et de leur fameux "casque à pointe". Une infanterie "reine des batailles" qu’on envoyait au feu, sans préparation d’artillerie, conduite par des saint-Cyriens qui montaient à l’assaut sabre au clair et en gants blancs. A la mobilisation, l’uniforme français en vigueur est totalement dépassé pour la guerre moderne. Les soldats sont affublés d’un képi et d’un pantalon rouge garance qui fait d’eux des cibles idéales pour la mitraille allemande. Leurs équipements sont inconfortables et inadaptés. L’administration militaire est en 1914 souvent routinière et imprévoyante : quand on songe qu’il manque en cet été 1914 plus de deux millions de chaussures pour équiper correctement les régiments, que les 900 000 godillots en réserve dans les magasins de l’armée ont été fabriqués il y a plus de trente ans, qu’il n’existe quasiment pas de chaussures de repos (celles qui ont été fabriquées sont expérimentales).
Les fautes tactiques, les erreurs de stratégie, les insuffisances du matériel incombaient aux chefs militaires, mais aussi aux gouvernements d’avant 1914, qui leur avaient laissé carte blanche et avaient suivi leur politique "quantitative" (la loi des trois ans de 1913 sur le service militaire), sans se préoccuper suffisamment de l’artillerie et de la protection du soldat. Les chefs, étaient plus choisis sur des critères politiques que de compétence, ce qui fut le cas de Joffre, devenu chef d’Etat-major en 1911. Certains lobbys ont pesé, comme ce fut le cas pour refuser d’abandonner le pantalon rouge, le pantalon garance, instaurée en 1829 ! Elle est finalement votée, après 15 ans de débats houleux, le 9 juillet 1914 ! C’est seulement en 1915 que seront généralisés pour les fantassins français le casque et l’uniforme "bleu horizon".
La France a bien failli connaitre le désastre militaire en 1914. Ce sont les erreurs tactiques du général allemand Von Kluck et la clairvoyance du général Gallieni qui permirent le "miracle de la Marne".
Le plan Schlieffen prévoyait de battre la France en 6 semaines, avant de se retourner contre la Russie, jugée par l’Allemagne comme l’adversaire le plus dangereux. Il faut aussi reconnaitre le rôle de l’armée russe dans le retournement de la Marne. Avec une préparation pas encore achevée, mais plus rapide qu’anticipée par les Allemands et les Français, les Russes passent à l’offensive en Prusse-Orientale, avec des succès initiaux importants, car Von Moltke, le généralissime allemand, a laissé peu de troupes à l’Est, pour concentrer ses moyens sur le plan Schlieffen. L’opinion française s’enthousiasme et imagine déjà "les cosaques à Berlin". Von Moltke cède à la pression et va renvoyer une partie de ses forces à l’Est pour bloquer les Russes (bataille de Tannenberg où Hindenburg bat les Russes). C’est l’autre explication de la victoire de la Marne : Von Moltke n’a pas été jusqu’au bout dans le maintien de la concentration de l’essentiel de ses forces à l’Ouest.
La guerre va se dérouler sur deux fronts et sera longue, le front Ouest se stabilisant fin 1914, après la "course à la mer". Alors apparaissent les premières tranchées, de la mer du Nord à la frontière suisse.